« On se serait cru dans un film d’espionnage », s’exclame Jérôme Giacomoni, président de l’entreprise Aerophile, qui a conçu le ballon porteur de la flamme. Des mois avant que le grand public ne découvre l’aéronef olympique lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, tous les collaborateurs impliqués ont œuvré dans le plus grand secret pour garder la surprise intacte. « Notre atelier, situé sur les bords de Loire près de Nantes, a l’énorme avantage d’être niché en pleine nature, au milieu des cigognes et des aigrettes. Il n’y avait pas plus tranquille pour réaliser les derniers tests », raconte Aurélien Meyer, directeur artistique de l’atelier Blam chargé de réaliser la vasque. C’était sans compter sur la vivacité des pompiers voisins. »A peine avait-on commencé à élever la « flamme » – en réalité un ensemble composé d’eau et de lumière – à l’aide d’une grue que nous les avons vus débarquer, croyant à un incendie », s’amuse Axel Morales, designer en charge du projet chez EDF. Preuve que l’illusion était parfaite !Des spectateurs ébahisLes professionnels du feu ne sont pas les seuls à s’y être laissé prendre. Lors de la soirée d’ouverture des JO, le 26 juillet dernier, le milliard de téléspectateurs du monde entier a suivi ébahi les images des derniers porteurs de la flamme, Marie-José Pérec et Teddy Riner, s’avançant vers la majestueuse vasque puis abaissant leurs torches avant que celle-ci ne « s’embrase » et s’envole dans le ciel, hissée par un ballon. Dès minuit, le site de réservation en ligne permettant d’obtenir un laissez-passer pour venir admirer l’objet volant posé dans le grand bassin du jardin des Tuileries a été pris d’assaut. Résultat : 110 000 billets – gratuits – distribués en 24 heures ! Ces derniers jours, les quelques chanceux qui réussissent à obtenir le précieux sésame multiplient selfies et photos devant l’immense sphère, certains Français brandissant le drapeau tricolore ou arborant crânement le tee-shirt « Paris 2024 ». Le mot qui revient le plus souvent ? La « fierté » ressentie face à cet objet volant immédiatement adopté par une majorité de Parisiens.Chaque soir, sur la grande esplanade des Tuileries, la foule se presse pour la voir s’envoler à partir de 22 heures, au son de concerts improvisés. « L’idée de départ était vraiment de créer ce rendez-vous quotidien à la tombée de la nuit », explique Thierry Reboul, le directeur exécutif des cérémonies de Paris 2024. Pari gagné. Mathieu Lehanneur, le designer chargé de dessiner à la fois la vasque et les torches olympiques, décrit le « relais entre le soleil qui se couche et le ballon qui prend la route des airs au moment où la tour Eiffel se met à scintiller ». C’est de lui qu’est née l’idée de faire voler la flamme. Un projet un peu fou qui lui permet, fin 2022, de faire la différence et de remporter le concours organisé par Paris 2024 auquel participait une dizaine de designers. Très vite vient se greffer une deuxième aventure parallèle : celle d’EDF, dont le laboratoire Innovation travaillait déjà depuis plusieurs années à l’élaboration d’une flamme décarbonée entièrement électrique.L’étude de plusieurs dizaines de prototypes finira par déboucher sur l’installation finale : un anneau de 7 mètres de diamètre, intégrant 40 projecteurs LED venant éclairer une forme de nuage créée par 200 buses de brumisation haute pression. Sans oublier ces ventilateurs venant faire danser ces particules d’eau au-dessus de la lumière et créer cette illusion de flamme. Une prouesse technologique ! Le plus difficile aura été de garantir l’acheminement des flux d’électricité et d’eau à 60 mètres du sol lorsque la vasque est en vol. « Nous nous sommes également heurtés à des contraintes de poids puisque la nacelle du ballon ne pouvait supporter plus de 1,5 tonne », note Axel Morales. Avant d’ajouter : « Il y a aussi tout ce que vous ne voyez pas, l’immense machinerie présente en sous-face du bassin des Tuileries. »Le CIO attaché à cette liturgie du relais de la flammeL’autre défi, et non des moindres, était d’obtenir l’aval du Comité international olympique (CIO). Jusqu’ici, la vasque olympique avait toujours accueilli une vraie flamme avec combustible. « Le CIO a toujours été très attaché à cette liturgie du relais de la flamme allumée à Olympie. A ce feu sacré transmis à travers les mers, les océans, les montagnes… Allait-il accepter de déroger un peu à la tradition ? », se souvient Mathieu Lehanneur. Un rendez-vous est organisé en 2023, avec le président, Thomas Bach, qui finira par se laisser convaincre pour le plus grand soulagement de l’équipe.Le choix du site n’est pas non plus allé de soi et a fait l’objet de vives discussions. Mathieu Lehanneur fait d’abord part de son souhait d’installer la vasque au Trocadéro. « Ce qui l’aurait placée dans le champ de la tour Eiffel, or cette perspective n’était pas souhaitable car on ne peut pas rivaliser avec la Dame de fer », observe Thierry Reboul qui, lui, plaide pour la cour Carrée du Louvre, mais se heurte au scepticisme de la Ville de Paris. « Cela ne nous semblait pas correspondre à la philosophie de ces Jeux basée sur l’ouverture. Pour nous, il était important que ce symbole puisse être vu de loin et par le plus grand nombre », se remémore Pierre Rabadan, l’adjoint aux Sports, qui dit avoir émis l’idée du jardin des Tuileries, insistant sur la force de l’alignement de l’œuvre dans l’axe de la pyramide du Louvre, de l’obélisque de la place de la Concorde et de l’Arc de triomphe. « L’arbitrage a été compliqué car l’Elysée poussait pour la cour Carrée du Louvre, endroit où Emmanuel Macron avait fêté sa victoire en 2017 », confie l’un des acteurs au cœur des tractations. La présidence confirme que la cour Carrée a été envisagée parmi plusieurs propositions, mais réfute avoir formulé une préférence.La sélection de cet emplacement avait également les faveurs de la préfecture de police de Paris. Installer la vasque olympique dans un endroit fermé aurait épargné bien des sueurs froides aux responsables chargés de la sécurisation des lieux. « Vous imaginez bien que nous n’avons pas été accueillis à bras ouverts avec notre idée d’envoyer dans les airs un aéronef alimenté en eau et en électricité, sans pilote embarqué », confie Mathieu Lehanneur. Enormément de questions se posent alors : que se passera-t-il en cas de tempête ? Si le ballon tombe ? En cas de problème électrique ? Si un homme armé se met à tirer sur l’appareil ? Enfin, l’autre grande difficulté rencontrée par les différentes équipes chargées d’élaborer la vasque, la fausse flamme ou le ballon a été de devoir travailler chacune de leur côté pour des raisons de confidentialité. « Chacun a fait les tests séparément pour éviter que quelques curieux aient l’idée de prendre en photo l’œuvre finale », reconnaît Jérôme Giacomoni qui, lui, n’a fait monter son ballon dans le ciel de Paris qu’à deux reprises à 3 heures du matin quelques jours avant l’ouverture des JO.Des pétitions circulent pour sa conservationLa dernière inconnue qui a maintenu l’équipe en apnée jusqu’au bout fut la météo car si le ballon a été conçu pour voler sous la pluie voire la grêle, il ne résiste pas aux vents forts. « Toute l’équipe a ressenti une émotion incroyable lorsque le ballon s’est envolé. D’autant que, comme il n’y avait pas eu de répétition générale, c’était la première fois que nous voyions le résultat final », insiste Jérôme Giacomoni. Depuis, des pétitions circulent pour que le ballon soit maintenu après la fin des Jeux olympiques et paralympiques. Le 29 juillet, sur France Bleu Paris, la maire, Anne Hidalgo, a fait part de son souhait de la conserver, au même titre que les anneaux olympiques accrochés à la Tour Eiffel et les statues des dix femmes françaises apparues sur la Seine lors de la cérémonie, tout en précisant qu’elle n’était pas « la seule à décider ». « Il sera compliqué de conserver la vasque dans ce jardin classé, voilà pourquoi d’autres endroits sont actuellement à l’étude », indique Pierre Rabadan.Tandis que, de leur côté, ceux qui militent pour le maintien de la fameuse sphère aux Tuileries mettent en avant l’écho historique de l’événement : car c’est précisément dans ce jardin des Tuileries que s’est déroulé le premier vol en ballon à gaz du physicien Jacques Charles le 1er décembre 1783 devant 400 000 personnes médusées. Près d’une centaine d’années plus tard, en 1878, c’est à nouveau aux Tuileries qu’un ingénieur français, Henri Giffard, expose son invention, un ballon captif relié à la terre par un treuil. « Les ancêtres des ballons que nous produisons aujourd’hui », explique Jérôme Giacomoni, qui a trente ans d’expérience à son actif et peut se targuer de faire voler aujourd’hui 120 engins dans le monde entier. Dont le ballon Generali installé dans le parc André Citroën du XVe arrondissement parisien en 1999, à l’occasion des festivités du passage à l’an 2000. En 1995, lors d’une interview accordée à L’Express, le jeune entrepreneur avait confié son souhait de faire voler un ballon aux dessus des Tuileries en hommage à ses illustres prédécesseurs. « Aujourd’hui, mon rêve se réalise », souffle celui qui passe désormais toutes ses soirées sur place et ne semble pas pressé de redescendre de son nuage.
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Author : Amandine Hirou
Publish date : 2024-08-06 11:58:28
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